Le constructivisme social

L’approche constructiviste/ constructionniste et systémique

Introduction

L’approche constructiviste/systémique propose de considérer les individus non pas comme des entités isolées, mais comme des acteurs engagés et interdépendants au sein de réseaux relationnels et symboliques. Dans cette perspective, la réalité psychique se façonne à partir des échanges avec les proches, le contexte professionnel et la culture environnante, d’où l’importance de mobiliser simultanément l’analyse des interactions et la dynamique de la construction du sens.

En combinant les principes de la causalité circulaire, hérités de la cybernétique et de l’École de Palo Alto, aux modèles constructivistes de Piaget, Vygotski, Bateson et Watzlawick, cette approche offre un cadre unifié pour accompagner le changement. Elle reconnaît que les représentations individuelles évoluent en fonction des dialogues, des récits partagés et des conventions sociales, ouvrant la voie à des interventions créatives et collaboratives.

Fondements théoriques

Le principe de causalité circulaire stipule que chaque comportement au sein d’un système est à la fois cause et conséquence des réactions des autres. Un symptôme ne se conçoit plus comme un trait individuel, mais comme un élément d’une boucle de rétroaction qui se régule ou se rigidifie selon la qualité des échanges. Les frontières familiales, professionnelles ou sociales définissent la perméabilité des interactions, tandis que les alliances et coalitions dessinent les forces qui maintiennent l’équilibre ou produisent la crise.

Le constructivisme, tel que défini par Jean Piaget, insiste sur le rôle actif de l’esprit : les schèmes cognitifs se construisent et se modifient sans cesse à partir des expériences vécues, ajustant leurs structures mentales face aux défis du milieu. Le constructivisme social étend cette dynamique à l’échelle collective, affirmant que savoirs, normes et valeurs naissent de négociations entre acteurs, s’ancrent dans des pratiques culturelles et fluctuent selon les contextes historiques et les jeux de pouvoir.

Le constructionnisme social formalise ces processus en trois temps : l’externalisation, où chacun projette du sens dans ses actions ; l’objectivation, lorsque la répétition et la normalisation cristallisent ces significations ; et l’intériorisation, à travers la socialisation qui intègre ces constructions dans la conscience individuelle. Cette vision éclaire l’instabilité et la malléabilité des catégories identitaires – genre, carrière, rôle politique – et ouvre sur la possibilité de leur revisitation permanente.

Principes d’intervention

L’intervention débute par une cartographie fine des interactions et des récits : en retraçant l’histoire du système familial ou organisationnel, le praticien repère boucles de rétroaction, alliances insoupçonnées et règles implicites. Dans cette phase diagnostique, la double lecture constructiviste et systémique met en lumière à la fois les dynamiques relationnelles qui nourrissent les symptômes et les constructions mentales qui les font tenir.

Adoptant une posture d’écoute bienveillante et empathique, le thérapeute ou le conseiller cultive la curiosité systémique pour explorer sans jugement les logiques propres à chaque membre. La question circulaire devient l’outil central : invitant chacun à décrire un même événement de points de vue différents, elle cristallise l’écart entre les perceptions et suscite l’émergence de nouvelles significations et par le fait même de nouvelles positions.

Plutôt que d’intervenir directement sur le contenu discursif, l’accent est mis sur la transformation des règles de communication et des rituels quotidiens. Les prescriptions paradoxales et les tâches symboliques, telles que l’écriture métaphorique ou la mise en place de rituels créatifs, produisent de petits chocs dans la structure du système. Ces interventions minimalistes, mais ciblées, engendrent souvent des effets de levier puissants, modifiant durablement la dynamique relationnelle.

  • Psychothérapie

La démarche thérapeutique s’ouvre par un diagnostic de type constructiviste/systémique approfondi. Le praticien réalise un génogramme pour repérer les schémas relationnels répétitifs et les symptomatologies héritées, tout en identifiant les croyances et valeurs construites par chaque membre au fil de son histoire. Cette double analyse révèle les boucles de rétroaction dysfonctionnelles et les constructions de sens qui maintiennent les difficultés et la souffrance.

L’approche narrative, inspirée de Michael White et David Epston, invite à externaliser le problème en le dotant d’un nom ou d’une métaphore afin que le client se détache de son identité de « client malade » pour en devenir co-auteur. En réécrivant son histoire et en inventant des chapitres alternatifs, il réactive sa créativité et renouvelle son rapport à soi.

Le processus se prolonge par un suivi réflexif et adaptatif. À travers des exercices d’écriture, d’auto-observation ou de simulation de situations concrètes, le client expérimente de nouveaux comportements et note les changements de ses perceptions. Ces retours éclairent le thérapeute et le client sur l’efficacité des interventions, en termes d’effets réciproques, guidant les réajustements nécessaires pour consolider les transformations identitaires et relationnelles.

  • Orientation

En orientation professionnelle, la première étape consiste à cartographier les systèmes d’appartenance et d’influence du client : famille d’origine, réseau social, institutions éducatives et milieu professionnel. Cette analyse systémique révèle les injonctions, les normes et les attentes implicites transmises de génération en génération. Simultanément, la perspective constructiviste invite le client à décrire ses schèmes cognitifs – valeurs, croyances sur le travail, images mentales du succès – pour mettre en lumière les dissonances entre sa carte interne et la carte sociale du monde du travail.

L’entretien narratif et l’externalisation des obstacles jouent un rôle crucial. Chaque événement marquant – réussite, échec, … – est raconté comme un chapitre d’un récit en cours. Les freins, tels que les stéréotypes de genre ou la peur institutionnelle, sont personnifiés pour devenir des entités extérieures à analyser et, le cas échéant, déconstruite. Cette mise à distance symbolique libère l’imaginaire et crée un espace sûr pour revisiter les représentations sans être contraint par son histoire passée.

La co-construction du récit professionnel s’effectue ensuite dans un dialogue à plusieurs mains entre le client et le conseiller. Sur la base du diagnostic et de l’entretien, ils élaborent ensemble plusieurs scénarios de carrière, décrivant pour chacun le contexte, les ressources mobilisées, les obstacles anticipés et les émotions associées. Plutôt que de viser une trajectoire figée, ils construisent un récit évolutif, ouvert aux révisions et nourri par l’expérimentation concrète.

Pour favoriser l’ancrage de ces nouveaux récits, le conseiller propose des « petits essais » symboliques : écrire une lettre à soi-même dans un an, imaginer un dialogue entre le moi actuel et le moi futur, etc. Ces dispositifs produisent des retours tangibles et alimentent un suivi réflexif où le client note ses ressentis, ajuste son projet et échange avec le conseiller sur les nouvelles significations apparues.

Tout au long de l’accompagnement, le conseiller reste vigilant aux dynamiques de pouvoir et à la diversité des trajectoires. Il questionne les conventions culturelles qui peuvent enfermer le client dans des rôles préétablis et adapte son questionnement aux spécificités socioculturelles de chacun, garantissant ainsi une posture éthique, inclusive et véritablement émancipatrice.

Conclusion

En articulant systémique, constructivisme, constructivisme social et constructionnisme social, notre approche place la co-construction du sens au cœur du processus de changement, qu’il soit thérapeutique ou professionnel. Les interventions ne cherchent pas à imposer une vérité universelle, mais à ouvrir des espaces où chacun peut expérimenter de nouveaux récits, redéfinir son identité et transformer durablement ses relations. Résolument collaborative et créative, cette démarche offre un éventail d’outils variés – de la cartographie à l’entretien narratif, de l’externalisation aux prescriptions paradoxales – pour accompagner le client en psychothérapie comme en orientation, et faire émerger une réalité partagée, sans cesse renouvelée.